Association professionnelle des sténographes officiels du Québec c. Québec (Procureur général) 500-09-006800-946

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Association professionnelle des sténographes officiels du Québec c. Québec (procureur général),500-09-006800-946 (11 juin 1999):

Les faits

L’appelante, Renée Dupras, a réussi, en novembre 1966, l’examen du Barreau du district de Trois-Rivières et avait été reconnue par ce barreau apte à exercer la profession de sténographe bilingue. Suite à cet examen, elle s’est vue décerner, en mai 1967, par le protonotaire de la Cour supérieure du district de Trois-Rivières, une attestation qu’elle était habilitée à agir comme sténographe bilingue «devant les tribunaux de la Province de Québec».

L’appelante commence à exercer sa profession dans le district de Montréal en août 1975, et plus précisément auprès du Comité de discipline du Barreau du Québec, de 1976 à 1993, en vertu d’une attestation émise par le protonotaire du district judiciaire de Montréal. En 1993, le Barreau de Montréal accepte d’inscrire l’appelante comme sténographe francophone sur le tableau de sa section.

L’appelante, avec d’autres personnes, porte requête en jugement déclaratoire devant la Cour supérieure pour demander à la cour, entre autres choses, de se prononcer sur son droit de pratiquer partout au Québec.

La décision de première instance :

A la lecture des lois et règlements pertinents , le juge Viau en vient aux conclusions suivantes quant au droit de l’appelante de pratiquer sa profession partout au Québec :

  • Les barreaux de section, corporations distinctes et autonomes du Barreau du Québec, ont seuls le pouvoir de régir, pour leur section respective, la compétence et la discipline des sténographes.
  • Les examens unifiés (anglais-français) ainsi que les autres mesures prises par ces barreaux ne sont ni illégaux ni discriminatoires à l’endroit des sténographes. Ceux-ci peuvent agir partout au Québec. Le Tribunal prend acte de la déclaration suivante des barreaux intimés : à l’exception des sections où les sténographes doivent passer l’examen unifié, ils n’ont pas à se soumettre à un tel exercice dans les autres sections qui n’ont pas adopté une telle mesure. De sorte qu’une fois passé l’examen unifié, les sténographes peuvent de fait œuvrer partout en versant bien sûr la cotisation prévue par les barreaux de section.
  • Le Tribunal est d’avis qu’on ne saurait accepter la proposition des requérantes à l’effet qu’en interprétant l’expression « les tribunaux » (a. 38 (1) de la Loi sur le Barreau et le mot « tribunal » à l’art. 1 de cette Loi, il faudrait conclure que le sténographe est admis à exercer indistinctement dans tous les districts judiciaires sans passer par les barreaux de section car ce serait alors enlever tout sens aux dispositions conférant à chaque conseil de section un pouvoir réglementaire pour les districts judiciaires concernés.

Les questions en litige :

  • L’attestation émise par le protonotaire suite aux examens du barreau de section vaut-elle pour toute la province ou doit-elle être limitée au seul territoire couvert par la section concernée ?
  • Si l’attestation n’est que territoriale, est-ce que les règlements du Barreau de Montréal, du Barreau de Laval et du Barreau de Longueuil, concernant l’examen unifié, sont valables ?
  • S’ils sont valables, sont-ils applicables aux sténographes, dont l’appelante, déjà accrédités par l’ancien règlement du Barreau de Montréal qui englobait Laval et Longueuil avant la création de ceux-ci ; en d’autres mots, avaient-ils le droit acquis d’exercer leur profession sur l’ensemble de l’ancien territoire du Barreau de Montréal ?

Analyse de la Cour d’appel :

Avant de procéder à son analyse, la Cour souligne quelques éléments factuels qu’elle juge pertinents. Premièrement, ce ne sont pas tous les barreaux de section qui, jusqu’à ce jour, ont exercé les pouvoirs conférés par les articles 38.1 a) de la Loi sur le Barreau et 3 de laLoi sur les sténographes. Deuxièmement, la section de Hull reconnaît l’habilité de tous les sténographes accrédités par une autre section, sujet au paiement d’une redevance au Barreau de Hull. Troisièmement, seuls les Barreaux de Laval, Longueuil, Richelieu et Montréal ont unifié leur examen par l’adoption d’un règlement à cet effet. Finalement, on n’a pas pu garantir la présence, dans tous les territoires desservis par des barreaux de section, de sténographes officiels, surtout de langue anglaise ou bilingue, dûment accrédités en vertu de l’article 3 de la Loi sur les sténographes.

La Cour est d’avis, à la seule lecture des articles 1 et 3 de la Loi sur les sténographes, que le protonotaire n’a aucun pouvoir d’accréditer quelque personne que ce soit dont la compétence n’aurait pas été établie par un examen subi sous l’autorité d’un barreau.

La Cour rejette l’argument du «magasinage » voulant que si l’accréditation vaut pour toute la province, les sténographes chercheront le district le plus «facile » où se faire accréditer. Cela reviendrait, selon la Cour, à appuyer cet argument sur le fait que le Barreau du Québec accepterait un système de deux poids, deux mesures, dans la compétence et les exigences requises d’un sténographe.

Tant pour les arguments de texte que pour la saine administration de la justice, la position des appelantes doit prévaloir. En interprétant le terme «tribunaux» à l’article 38 (1) de laLoi sur le Barreau à la lumière de la définition de «tribunal » à l’article 1 b) de la même loi, on arrive à une définition suffisamment large pour viser tout organisme ayant ses assises au Québec, peut importe le district judiciaire. Cette définition n’est cependant pas nécessairement incompatible avec une interprétation territoriale de l’article 38(1) précité.

C’est en juxtaposant l’article 38(1)b) à l’article 38(1)a) que le tribunal justifie son appui à la position des appelantes. Si le pouvoir sous 38(1)b) est territorialement limité, pourquoi, s’il en était de l’intention du législateur, le pouvoir sous 38(1)a) ne l’est pas ? Même s’il pouvait demeurer une incertitude, les considérations pragmatiques et factuelles semblent également pencher en faveur de la position des appelantes. Pour ne prendre qu’un exemple, quel serait le sténographe compétent lorsqu’un interrogatoire hors cour doit se tenir dans le territoire d’une section autre que celle où l’instance est engagée ? La Cour croit nécessaire, devant de tels imbroglios potentiels, devoir choisir l’interprétation de l’article 38 (1)a) qui est de nature à régler les problèmes plutôt qu’à créer les obstacles. Elle décide de consacrer le pouvoir juridictionnel des sections sur une base extraterritoriale.

Ayant répondu à la première question en litige par l’affirmative, la réponse à la seconde doit être que la limitation territoriale retrouvée au règlement unifié des Barreaux de Longueuil, Laval, Richelieu et Montréal est ultra vires des pouvoirs conférés aux barreaux de section par l’article 38(1)a) et inopposable aux appelants.

La Cour comprend que cette décision pourrait être problématique, si les tableaux des districts couverts par les sections qui n’ont aucun règlement relatif à l’examen de compétence que doivent subir les candidats, contiennent des noms de sténographes accrédités par le protonotaire mais sans n’avoir jamais passé un tel examen. Pourrait aussi être problématique le fait que la réglementation dans les différentes sections soit disparate. Il parait donc opportun à la Cour de suspendre les effets de son arrêt pour 120 jours afin de permettre aux intimés, aux autres barreaux de section et au Barreau du Québec de s’ajuster. Ils pourraient, s’ils le jugent à propos, se concerter afin d’adopter une réglementation sinon unifiée, du moins qui tienne compte du présent arrêt.

La Cour accueille le pourvoi et modifie pour partie le jugement de première instance, et ordonne que soit rayées les dernières lignes de la conclusion 1) qui suivent les mots «l’art. 22 C.p.c. » ainsi que le sous-paragraphe b) de la conclusion 2) du dispositif du jugement de première instance. La Cour ajoute les conclusions au dispositif découlant de la précédente analyse. Le tout avec dépens en appel contre les intimés.

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